Le Conseil d’État limite l’utilisation des pesticides à proximité des habitations

À la suite des recours déposés par plusieurs organisations (AMLP, Collectif Victimes pesticides de l’Ouest et du Nord, Eau et Rivières de Bretagne, FNE, Générations Futures, UFC Que Choisir, Vigilance OGM 16), le Conseil d’État (CE) a rendu courant juillet 2021 une décision majeure dans la lutte contre les pesticides.
Le Conseil d’État a annulant, car insuffisamment protectrices,  plusieurs dispositions encadrant leur épandage près des habitations :
– insuffisance des distances minimales pour les produits suspectés d’être cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR 2) – plusieurs pesticides relevant de cette catégorie-,
– absence d’information réelle des riverains en amont des épandages,
– insuffisante protection des riverains et travailleurs.  

Protéger les populations
Le CE rappelle au gouvernement l’importance de la protection de population contre les méfaits des pesticides et l’invite à prendre enfin sérieusement en compte l’avis des scientifiques en revoyant en profondeur sa copie sous 6 mois. Alors que depuis 2016, une circulaire de la direction générale de l’Alimentation recommandait des distances minimales pour les épandages de pesticides à proximité des habitants (5 m pour les céréales et les légumes, 20 m pour la viticulture et 50 m pour l’arboriculture), en 2017 un arrêté a diminué très significativement ces distances de sécurité sans justification scientifique sérieuse. En juin 2019, suite à l’action juridique de plusieurs ONG, le Conseil d’État retoquait en partie cet arrêté au motif qu’il assurait une protection insuffisante de la ressource en eau d’une part, et, d’autre part, des riverains de zones traitées.

Mensonges
Le gouvernement avait alors revu le cadre mais en maintenant des distances ridiculement faibles. Pire, ces distances pouvaient être encore abaissées dans le cadre de chartes d’engagement départementales rédigées par les agriculteurs eux-mêmes et réduisant dans la plupart des cas les distances d’épandage à 3 m pour les céréales et légumes, 5 m pour les vignes et les vergers. Alors que ces chartes devaient être soumises aux riverains et aux élus locaux, le masque tombe début 2020, avec plusieurs décisions du gouvernement autorisant les agriculteurs à appliquer leurs chartes sans s’embarrasser de la moindre consultation !  Suite à nos recours, le Conseil d’État inflige donc un nouveau camouflet au gouvernement : des distances d’épandage véritablement protectrice pour les riverains et l’obligation d’alerter les riverains avant tout épandage.

Risques sanitaires
La toute récente publication[1] de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), basée sur 5 300 études scientifiques, met en lumière le risque accru de maladies (cancer, troubles du développement…) chez les riverains d’exploitations agricoles et notamment chez les jeunes exposés aux pesticides au cours de leur développement fœtal ou de leurs premières années de vie. Le Conseil d’État partage la préoccupation des experts. En effet, il indiquait déjà dans un précédent avis de 2019 que les riverains devaient « être regardés comme des habitants fortement exposés aux pesticides sur le long terme ». Il confirme aujourd’hui son analyse en indiquant que : « Plusieurs études ont mis en évidence (…) une corrélation entre l’exposition à ces produits résultant de la proximité du lieu de résidence avec des zones agricoles et une augmentation du risque de développer certaines maladies »    

Des mesures renforcées pour les molécules les plus dangereuses
De nombreuses molécules de pesticides sont fortement suspectées d’être cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR) ou d’être des perturbateurs endocriniens. Au regard du risque accru que ces substances font courir aux populations riveraines, le rapporteur public avait demandé que 35 substances actives ne puissent être pulvérisées à moins de 20 m des habitations. Le Conseil d’État abonde dans ce sens en constatant que « l’avis de l’ANSES du 14 juin 2019 (…) recommande de prévoir des distances de sécurité supérieures à 10 m pour l’ensemble des produits classés cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, sans distinction des catégories de danger prévues par le règlement du 16 décembre 2008 ». En rappelant le principe de précaution, le Conseil d’État invalide donc les distances minimales pour les produits suspectés d’être CMR, et demandent donc qu’elles soient revues à la hausse.  

À l’avenir
Cette décision souligne en creux combien le gouvernement n ’a pas tenu compte, malgré ses déclarations, de la préservation de la santé et de l’environnement des riverains. À défaut d’avoir été entendus dans le cadre des consultations qu’il a organisées autour du sujet, les organisations appellent le gouvernement a faire enfin preuve de responsabilité et de répondre pleinement à l’appel formel du Conseil d’État.   Elles exigent que le gouvernement remette la santé des riverains et des utilisateurs de pesticides au cœur de ses préoccupations en :  
– adoptant immédiatement, sur la base des recommandations scientifiques, des distances minimales réellement protectrices, et en garantissant une meilleure information des riverains en amont de l’utilisation des pesticides.  
– arrêtant immédiatement la consultation actuelle autour «des chartes d’engagement » que le ministère de l’Agriculture relance en catimini et en pleine torpeur estivale pour réduire les distances d’épandage alors même que le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’État aujourd’hui même ont rappelé que celle-ci relevait du domaine de la Loi.    
[1] ‘Pesticides et effets sur la santé, nouvelles données’ – Expertise collective – Inserm – Juin 2021